Domaine des Varenne Domaine des Varenne, de Domfront à Monein, de l'Alençon au Béarn... |
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| [RP] De Paris à Neauphle, de Neauphle à Montfort, de Montfort à ... | |
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Felian
Messages : 21 Date d'inscription : 26/08/2009 Localisation : Loches/Touraine
| Sujet: [RP] De Paris à Neauphle, de Neauphle à Montfort, de Montfort à ... Ven 23 Juil - 0:58 | |
| La matrice s'abattit fatalement sur la cire liquide, rouge. Rouge comme le sang qui s'écoule lentement d'un coeur navré par la plus navrante des blessures : celle due à l'amour. La feuille un peu jaune, pliée en cinq, cachetée pour ne point être ouverte sans que ce soit visible très le premier instant. Felian l'avait écrite d'un trait, sans s'arrêter, dès lors qu'il fut arrivé dans une auberge, au-dedans des murailles de Neauphle, sur la colline qui dominait toute la vallée de la Mauldre. Chevauchée sans arrêt non plus, de Paris à Neauphle, au petit matin du mercredi. Sortie par la porte ouest, sitôt qu'elle fut ouverte, et dès lors, par les chemins royaux, le cavalier au tabard bleu prit la route de la Normandie. Pourtant, son but était la Touraine. La porte d'Orléans eût été d'une élection plus avantageuse. Il semblait que quelque force ne voulût pas de son retour dans la Brenne, tandis même que tout le rejetait de Paris.
La lettre pliée, cachetée, fut remise à un commis de la baronnie. Au petit matin, un messager partirait pour Paris, et Felian serait déjà pour Montfort. Quelques lieues, seulement, deux heures de cheval. De quoi se reposer et réfléchir une fois arrivé à Montfort. - Citation :
- Neauphle-le-Castel, le XI des Calendes d'août, l'an mil quatre cent cinquante-huit,
De Félix Barrauld, À Eugénie de Varenne,
Madame,
Permettez que je n'use point de votre prénom pour vous vous interpeller au début de cette lettre. Je suis par trop vergogné de ce que j'ai pu, il y a peu, vous révéler pour m'autoriser plus quelque familiarité. En vérité, je ne sais point ce que me pousse, aujourd'hui, à vous écrire. Il s'agit certainement du besoin de savoir, savoir si, Madame, vous vous gaussez de moi. Assurément, j'ai commis il y a quelques jours, en Sainct-Anthoyne, une grande erreur. Je vous renouvelle mes excusations pour l'attitude que j'ai eue en votre présence. Il m'est rare de perdre tant le contrôle de ma personne & de ne pas tenir le rang qui est le miens à l'égard de celui qui est le vôtre. Assurément, la déclaration que je vous ai faites vous aura parrue déplacée. L'amour entre vicomtesse & roturier ne convient pas ; quand bien même ce roturier fût-il de noble extraction, la vacuité de sa titulature n'a d'égal que la folie qui l'animait & que vous avez soudainement percée, telle un abcès. Je ne vous ferai pas l'affront, Madame, de vous afficher ma détresse. Il me semble vous avoir assez insultée en vous disant que je vous aimais. J'imagine assez votre perplexité à l'issue de notre entretien.
Afin de vous éviter un malaise que je ne vous dois point, à chaque fois que vous me verrez, j'ai pris les chemins de l'exil. Vous l'aurez pu constater, je suis maintenant à quelques lieues de la capitale, un village fortifié du nom de Neauphle. Première de mes étapes dans mon retour vers la Touraine. La prochaine sera Montfort, dans quelques jours.
Je me reprends à vous ennuyer. En réalité, cette lettre doit être un ennui en elle-même. Croyez que je suis attristé d'avoir à vous navrer la remembrance par cette lettre qui vous doit rappeler un mauvais souvenir. Là n'est pas mon but. Le fil décousu de cette missive vous aura montré que je n'ai aucun but, & que l'assurance qui a pu m'habiter jadis s'est envolée.
Quelques mots encore, Madame, pour vous signifier, si ce que j'ai écrit jà n'était pas suffisant, mon désarroi & ma tristesse de vous avoir fait offense. J'espère que la rigueur que vous pourriez justement me tenir s'adoucira par quelque effet de votre grande mansuétude, que vous pardonnerez la folie d'un homme insensé qui n'a commis comme erreur que de vous aimer.
Je suis, Madame, votre absolu serviteur,
Félix Barrauld
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| | | Eugénie
Messages : 597 Date d'inscription : 14/11/2008
| Sujet: Re: [RP] De Paris à Neauphle, de Neauphle à Montfort, de Montfort à ... Mar 21 Sep - 2:04 | |
| Contrition.
La lèvre inférieure de celle part qui tout arrive fut mordue une fois de plus à l'énième relecture de l'epistole de Felix Barraud. Deux mois durant, Eugénie s'était livrée à ce manège incessant. Tantôt dissimulé sous une pile de commandes sigillographiques longue comme un jour sans pain ou dans son aumônière, tantôt parcouru avec la fébrilité de celles qui sont restées au port, annoné comme une litanie mystérieuse, le vélin de bonne facture fut cruellement corné et froissé, le sceau de cire fendillé, irrémédiablement gâté par les deux petits mains blanches dont la couarde maîtresse se prenait à craindre maintenant -en sus des corridors mal éclairés- un bout de papier.
Deux mois durant, à la faveur d'un moment "paisible" ou d'une nuit sans sommeil, ses canines, rompues à l'exercice, avaient blessé cruellement la lippe charnue de l'Ingénue et qui jour après jour semblait se gorger de sang comme une grosse tique. Et ce soir, considérant le creux formé qui se muait en croute qu'elle caressait d'un index distrait, tandis qu'elle dévorait la missive des yeux, elle se résolut enfin - ! - et décida que le temps de mander lettre à l'intention du tourangeau épris d'elle n'était que trop venu.
Ainsi, et sous l'œil goguenard de la domesticité, elle prit plume, encre et parchemin afin de tordre le cou au mauvais vice qu'était la procrastination. - Citation :
A vous Félix,
Permettez à votre tour, Félix, que je vous nomme comme le ferait une amie. Permettez, Félix, que je n'emploie pas le "nounoiement". Il m'apparait, au terme de notre dernière entrevue, que la relation que nous pouvions avoir jusque là ai pris toute autre tournure. Il me semble en effet qu'à l'aune de votre confession, nous soyons devenus intimes et qu'il aurait été des plus inappropriés que je marque entre nous une distance qui n'a plus lieu d'être dorénavant. Tout roturier que vous soyez. Toute Vicomtesse que je sois.
Je vous conjure Félix de ne pas vous mirer à travers le prisme de la possession terrienne et des titres qui sont bien peu de choses en les affaires dont vous m'avez entretenue et qui vous cause une honte dénuée de quelque fondement que ce soit. En mon temps et bien que je sois encore dans mes jeunes années, je fus de condition modetes. Sans doute même vous paraitrait-elle bien peu enviable au regard de la votre et si l'on se prenait à envisager les avantages et inconvénients de chacune d'entre elles. A dire vrai, et peut-être l'histoire est connue de vous, j'étais de la race des ambulants et chaque jour je foulais les chemins de France et de Navarre en compagnie de ceux qui m'avaient la grâce de me protéger de leurs vieilles ailes.
Je ne m'étendrais pas plus en confidences, préférant si le cœur vous en dit, vous les livrez de visu. Simplement Félix, ne considérez pas la Noblesse comme vous vous considérez à mes yeux. Ne la hissez point sur un promontoire trop haut, vous risqueriez alors de vous duper vous-même, sur votre compte, et de ne pas y voir que Noblesse est humanité au sens le plus repoussant du terme, et que comme chez les petites gens, celle-ci est mue par les mêmes travers. Ce que je découvris moi-même trop tard, animée par la soif des titres qu'un homme, qui ne méritait pas que je me démène comme un beau diable plongé dans de l'eau bénite pour un jour pouvoir simplement prétendre au rôle d'épousée, instilla en moi.
Je romps ma plume ici, sans doute de façon abrupte, car il me semble que pour l'heure, il n'y ai plus rien à ajouter. Mais sachez Félix qu'il n'est rien que vous ne puissiez me dire.
Fébrile, elle versa trop de cire à l'intention du cachet à venir, et jura. Ses grands dieux. Contre cette saloperie liquide qui avait ruiné une étoffe du plus bel effet et qui maculait l'envers du pli sur toute une partie. Du moins et c'était une consolation, bien mal avisé celui qui se prendrait à vouloir rompre le scel en toute discrétion et à lire ce qui ne lui était pas destiné, en toute indiscrétion.
Elle dépêcha alors un coursier -tout d'azur vêtu, aux armes de sa maîtresse, une épée sur le devant, une plume sur le derrière, parce que ça la faisait bien rire- lequel chevaucha à brides rabattues jusqu'en Touraine, avec pour mission de trouver Felix Barrault et de lui remettre le précieux message, quoi qu'il lui en coûterait. | |
| | | Felian
Messages : 21 Date d'inscription : 26/08/2009 Localisation : Loches/Touraine
| Sujet: Re: [RP] De Paris à Neauphle, de Neauphle à Montfort, de Montfort à ... Jeu 23 Déc - 2:16 | |
| Vague douleur qui ronge l'âme et l'esprit, le regret des mots échappés avait mené l'assaut de l'esprit du héraut pendant le temps qu'il chevauchait. Deux lieues seulement séparaient Neauphle de Montfort. Deux lieues hors du temps, où le chagrin compressait le cœur, où la honte, accomplissant sa besogne, faisait repasser avec remords les événements passés, modifiés de maints détails afin de montrer comment l'on eût pu éviter la situation. Hors du temps, il atteint la cité. Le lendemain, il partit pour le sud : Rambouillet, Orléans, Blois, Tours, Loches ... La réponse à sa lettre n'arrivait pas, et cela accroissait son désespoir. Le temps, insipide, s'écoulait lentement, et l'humeur de Felian flétrissait comme les feuilles de la saison moribonde. Il était devenu exécrable. D'un mouvement d'humeur, il avait remercié le peu de gens qui le servaient et renvoyé à Paris ses aides héraldiques. Ses caducées recouverts de velours azur gisaient dans un fatras de papiers et de plumes, de déchets alimentaires, sur son bureau. Il n'y avait nulle fin à cet état d'âme et il convenait de refonder sa vie sur de nouvelles bases. Les précédentes avaient été rudement ébranlées. Elles étaient frivoles, donc débiles. La moindre secousse les eût fait voler en éclat. Or, ce ne fut point l'une des moindres qui les emporta : la pire de tous, le chagrin d'amour. Le Barrauld empaqueta quelques vêtements et emplit son aumônière de quelques sols. Il clôt sa demeure et prit son cheval. Direction : le sud. Cela n'allait pas bien loin, cependant. Le voyage avait pour objectif les confins méridionaux de la Brenne tourangelle : l'abbaye Saint-Pierre de Preuilly. À peine trois heures de marches, deux heures de discussion avec le père abbé, et deux mois de repos dans la retraite séculaire, juchée au-dessus de la Claise.
Au terme de ces deux mois, son cœur était ressourcé. À l'instar de la neige immaculée qui recouvrait la campagne, son esprit, ancré dans la foi, contemplait de manière apaisée la nature environnante. C'est avec un air guilleret qu'il ouvrit le verrou de sa demeure et qu'il prit les deux lettres qui gisaient sur le sol, sans prêter d'attention aux scels qui les tenaient fermées. Felian se plaça à son bureau, qu'il balaya d'un ample mouvement du bras. Il décacheta alors le premier pli qu'il lut avec une vague tristesse : il découvrait son récent limogeage de sa charge héraldique. Rapidement, il rédigea une réponse. Point de cachet, il n'en avait plus le droit. Il déposa la lettre sur le coin de la table et décacheta la suivante. La cire était mise de manière bien grossière, mais la luminosité ne permettait pas au ci-devant héraut de percevoir la forme que la matrice avait imprimée. Cependant, sans même lire le pli, il reconnut la petite écriture griffonnée et une angoisse antique comprima son cœur. Tandis que les battements reprenaient un rythme rapide, mais ordonné, il lut, fébrile, les lignes portées sur le papier. Quelques mots étaient revêtus d'un aspect particulier. Ils attiraient les yeux, qui pourtant s'en éloignaient apeurés. « Pouvoir simplement prétendre au rôle d'épousée » ; « il n'est rien que vous ne puissiez me dire ». La Varenne créait un parallèle troublant. Le terme « épousée » formait en Felian un espoir dont la grandeur n'avait d'égale que la frayeur qu'il s'effondrât. Il s'obligea à prendre la plume et à formuler une réponse. - Citation :
- Loches, le 22 décembre 1458
Eugénie,
En toute franchise je vous le dis. Ni l'or, ni l'argent, pas même l'honneur ne m'attirent. Je n'ai cure de la noblesse pour ma personne. Plus maintenant à tout le moins. Il est vrai que jadis j'étais attiré par les vanités de ce monde. L'on accède trop facilement à la noblesse, et par des moyens trop ignobles. Depuis ce temps, Madame, j'ai été navré au cœur. Je vous ai dévoilé, ce soir-là dans votre alcôve, des secrets que j'eusse dû peut-être me cacher. Et la peur de vous avoir offensée m'a si violemment enchagriné que j'ai dû me soustraire à la vie du siècle et me reclure au fond d'un monastère pour deux mois. Et sortant, primesautier, je me croyais guéri. Or voilà que votre pli, parvenu en Loches durant ma retraite, m'a replongé dans l'abîme de la désespérance. Il ne s'agit pas de désespoir matériel mesquin, mais d'une profonde désespérance en tout ce que je crois, en ma vie si vile qui était sans but, autre que les frivolités de la terre. Cependant, pour vous être parfaitement honnête, et puisque je n'ai plus rien à perdre que ma vie, votre lettre a allumé un faible fanal dans l'obscurité de mon cœur. Peut-être ne vous suis-je point indifférent. C'est un étrange mélange, d'un paradoxe dont seul le cœur a le secret, qui m'anime aujourd'hui et qui dirige ma main.
Je ne suis pas digne de vous, assurément. Cependant, d'une seule parole, vous guérirez mon âme. Il ne se présentera certainement nulle autre occasion où l'ardeur de ma plume m'octroiera un courage si grand, où j'aurai si peu à perdre que je vous le pourrais demander. Pardonnez-moi d'avance si à mon tour je vous navre par excès d'audace. J'ai besoin de savoir si vous m'aimez, et si vous désirez vous unir à moi devant Notre-Seigneur.
À mon tour, ma plume se rompt. Je vous ai causé certainement trop de mouvements d'âmes. Puissiez-vous m'en pardonner. Je demeure votre très dévoué serviteur.
Félix Barrauld Il reposa sa plume. Il ne tremblait plus. La rédaction de la lettre avait agi comme une catharsis. Lentement, il la plia et la scella sans apposer son cachet. Il fit quérir un messager qu'il paya gracieusement, lui remettant les deux lettres qu'il avait rédigées, accompagnées de ses caducées enroulés dans le tabard héraldique, à destination de l'hérauderie. Le coursier retiré, il s'assit dans un fauteuil et laissa son regard plonger dans le plancher. Un air de mélancolie planait dans son esprit. | |
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